Introduction

La Mission Archéologique Franco-Iranienne dans le Khorasan (MAFIK) a été ouverte en 2018, sous l’égide du Musée du Louvre, de l’Institut pour la Recherche sur l’Héritage Culturel et le Tourisme (RICHT) et du Centre Iranien de la Recherche Archéologique (ICAR), du Ministère des affaires étrangères et du développement international, avec la collaboration précieuse de l’équipe Asie Centrale (ArScAn UMR 7041, CNRS). La mission est co-dirigée par le Dr. Rocco Rante (Musée du Louvre) et le Dr. Meysam Labbaf-Khaniki (Université de Téhéran). Le programme de recherche développé dans le cadre de la mission MAFIK est consacré à l’étude des civilisations de l’Iran oriental, de l’Antiquité à l’époque médiévale.

Carte géographique montrant le Khorasan et les villes principales du monde iranien
Carte géographique montrant le Khorasan et les villes principales du monde iranien

Plus globalement, l’objectif de ce projet scientifique est d’étudier la région du Khorasan dans sa complexité territoriale et historique à travers l’investigation des occupations humaines, depuis l’Antiquité jusqu’à la période Islamique. Le programme de recherche se focalise donc sur les dynamiques d’occupation de cette vaste région en étudiant l’évolution des comportements humains, l’évolution urbaine et culturelle. Dans ce large contexte, l’un des intérêts majeurs est de reconsidérer le phénomène urbain depuis l’Age du Fer, l’époque post-achéménide et hellénistique, le considérant ainsi à travers le prisme des relations entre ces entités urbaines et les villes iraniennes occidentales et orientales. Ce programme vise ainsi à l’étude et à l’identification des facteurs qui ont donné lieu aux évolutions culturelles entre ces périodes. L’intérêt est également d’étudier en détail les productions locales et les importations afin d’investiguer en profondeur les dynamiques des échanges entre l’Orient Méditerranéen et l’Orient. Enfin, une étude particulière sera dédiée aux routes caravanières. Dans ce contexte, les travaux réalisé par Chahryar Adle dans le Khorasan, ainsi que les travaux réalisés par la Mission Archéologique Franco-Ouzbèke dans l’oasis de Boukhara enrichiront et compléteront les nouvelles recherches dans le Khorasan.

Quelques éléments historiques

Depuis le 3è siècle av. notre ère, des populations venant des frontières du Karakum migrèrent vers le sud et le sud-ouest, occupant ainsi en partie les côtes orientales et sud-orientales de la Mer Caspienne. Appelés Dahae, ces populations nomades entamèrent un processus de conquête vers le sud et les sud-ouest occupant ainsi la Parthie, puis les régions plus à l’ouest. Les années suivantes confirmèrent l’émergence d’un nouveau pouvoir et virent la création d’un empire, celui parthe, couvrant un territoire qui s’étendait de la Mésopotamie à la Vallée de l’Indus.

Occupant des régions où le phénomène urbain était déjà développé, les Parthes absorbèrent les caractéristiques culturelles locales en les transformant et en les adaptant plus tard à leurs traditions. Cette dynamique, il semble, fût rapide et exponentielle. Des nouvelles villes virent le jour et des villes existantes se transformèrent selon les caractéristiques spécifiques aux coutumes parthes qui, bien gardant un esprit traditionnel d’origine nomade, avaient acquis des éléments venant de l’est et de l’ouest.

Ces deux facteurs, géographique et culturel, mènent à considérer la Parthie et plus partiellement la Margiane comme le territoire embryonnaire de la formation de la culture parthe. En outre, à cette période ces deux régions, grâce aussi à l’occupation de ces populations, avaient entamé un processus de « fusion culturelle », qui donnera lieu plus tard au Khorasan.

Carte du Moyen Orient, montrant les régions de Margiane et Parthyène
Carte du Moyen Orient, montrant les régions de Margiane et Parthyène

Le toponyme Khorasan signifierait « l’endroit où le soleil se lève », ce qui très explicitement oriente le regard vers l’est, sans pour autant poser de limites précises. A la lumière des découvertes archéologiques et de l’étude des sources sassanides, une limite orientale datant du 6è siècle de notre ère peut se situer sur le fleuve Murghab (Rante 2015), celui qui plus au nord s’étale en delta, générant l’oasis de Merv. Toujours à la même époque, le mur dit d’Alexandre protégeant la région du Gorgan, ainsi que les grands déserts iraniens ont constitué sa limite occidentale. Cette région, Gorgan-Qumis, était rattachée à l’entité administrative d’Abarshahr qui correspond au futur territoire du Khorasan (Gyselen 1989; Gyselen 2003). La limite nord suivait vraisemblablement le fleuve Atrek, incluant les oasis de Tedjen et de Merv. La limite sud, plus difficile à établir, s’arrêterait à l’actuelle région du Khorasan Junubi, juste au nord du Sistan, qui était déjà à l’époque une région très aride. Les prospections réalisées avec Chahryar Adle dans ces régions du Khorasan du sud ont mis en évidence une sorte de limite des occupations parthes vers le sud.

Avant l’existence de ce Khorasan embryonnaire, les peuples des Aparni avaient occupé cette vaste région, qui se partageait grosso modo en une portion de la Margiane, une portion de la Parthie et une portion de l’Aria. Ce n’est qu’au 6è siècle de notre ère que remontent les premières références à ce toponyme, un phénomène qui peut être dû à la restructuration des provinces sous Khosrow I, bien que cela reste encore à approfondir. Mais ce premier embryon territorial s’étendit rapidement vers l’Est sous les effets de la conquête sassanide des territoires de la Bactriane, jusqu’au Badakhshan (Gyselen 2003). Nishapour a été fondée à la fin du 4è siècle de notre ère (Rante and Collinet 2013) et Balkh n’était sous l’administration sassanide qu’à partir environ du 6è siècle (Gyselen 1989 ; Gyselen 2003). Le Khorasan aurait été ainsi plutôt considéré à cette époque comme un grand territoire de l’Empire sassanide.

Carte du « Khorasan propre »
Carte du « Khorasan propre »

C’est en effet à partir de cette période que le Khorasan est défini comme divisé en quatre grandes provinces : Nishapur, Merv, Herat et Balkh. Toutefois, ayant été l’occupation sassanide de l’Iran orientale de facto éphémère (Gyselen 2003) et les centres administratives orientaux plus que quatre, il est difficile et périlleux de vouloir fixer précisément les limites orientales du Khorasan. En outre, si l’entité administrative du Khorasan avait existé avant le 6è siècle de notre ère, ses frontières orientales correspondraient au Murghab. Au 5è siècle de notre ère, Moses de Khorene en décrivant les provinces orientales de l’Empire sassanide mentionnait plusieurs toponymes, comme Tirmidh, Boukhara (Diz-i Awaza ?) ou Paykend (Diz-i Roin ?) (Marquart 1901).

La conquête islamique ne fit que reprendre le toponyme, sans en saisir précisément les limites et en l’utilisant, au tout début, plutôt comme une référence d’orientation. On constate d’ailleurs encore aux 8è-9è siècles une confusion dans les sources écrites quant aux frontières à lui attribuer. Toutefois, une dynamique est clairement observable, l’expansion de l’Empire islamique est directement proportionnelle à l’extension de l’acception du Khorasan. Une confirmation de ce phénomène pourrait venir de la source Pahlavi datée du début de l’époque abbasside (Marquart 1931) dans laquelle le Khorasan est divisé en douze capitales : Samarkand, Navarak, une ville sans toponyme du Khorezm, Marw al-Rudh, Merv, Herat, Bushanj (Pushang), Tus, Nishapur, Qayin, Gurgan et Qumis.

Grâce aux découvertes archéologiques iraniennes (M. Labbâf-Khaniki 1394/2015; R. Labbâf-Khaniki 1378/1999) et françaises (Rante and Collinet 2013 ; Rante 2015 ; Labbaf Khaniki and Rante, Encyclopaedia Iranica), on pourrait identifier le Khorasan avant le 8è-9è siècles comme étant une entité plus restreinte, « Khorasan propre », et celui post cette date un Khorasan étendu, « grand Khorasan » ou « Khorasan-e Bozorg ». Plus concrètement, le premier Khorasan embryonnaire était constitué de l’oasis de Merv, Herat, Zuzan, suivant les frontières des déserts iraniens jusqu’aux côtes sud-orientales de la Mer Caspienne, laissant dehors le Qumis, mais en incluant la province de Gurgan.

Ce n’est que sous la dynastie clanique des Tahirides, gouverneurs du Khorasan depuis Nishapour, que le Khorasan acquit des limites qui sont celles du territoire administré par cette dynastie persane pour le compte du Calife de Bagdad. C’est donc à partir de ce moment que nous pouvons parler de Grand Khorasan, une entité territoriale qui « explose », s’étendant encore d’avantage vers le nord, jusqu’à l’Oxus et au-delà, et vers le sud jusqu’au Kuhestan, en conservant la frontière naturelle constituée par les déserts iraniens à l’ouest. Et c’est aussi à cette époque que la région acquit sa stabilité politique et administrative. Les Tahirides furent les promoteurs d’un élargissement de la région et leur dynamisme économique et culturel a fait de ce territoire et de ses villes principales, Nishapour, Merv, Herat et Balkh, une aire prospère et politiquement stable. La Route du Khorasan, joignant Nishapour à Merv et cette dernière à Boukhara, mentionnée par toutes les sources écrites, en est une preuve.